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11 mai, 2017

Le marché des engrais : explications et perspectives

Dans notre secteur, les engrais sont eux aussi sujets aux marchés financiers. Pour mieux comprendre les facteurs qui régissent le prix d’achat pour les agriculteurs, nous avons fait appel à Alban Fontaine, consultant chez Agritel pour répondre à nos questions.


Un sac d'engrais vidé dans un épandeur
Un sac d'engrais vidé dans un épandeur

Quelles sont les tendances de consommation des engrais NPK ?

"Il faut rappeler qu’avec la récolte un peu délicate, pour ne pas dire catastrophique, en 2016, il y a eu un changement du mode de consommation, ou du moins une adaptation. De manière générale, il y a eu une consommation des engrais de fond (P,K) qui a été revue à la baisse, et en ce qui concerne l’azote, on a une consommation qui reste globalement stable depuis quelque temps.

En engrais azotés, la consommation se reporte essentiellement sur la solution azotée dans les régions céréalières mais on constate que les agriculteurs se tournent de plus en plus vers l’ammonitrate, qui est plus facilement assimilable par la plate. L’urée reste néanmoins l’engrais majoritaire chez les producteurs de maïs.

Ce qu’on peut imaginer pour les années à venir, c’est un retour à la normale de l’utilisation des engrais de fond, si la récolte de 2017 revient sur des niveaux corrects. N’oublions pas que la récolte 2016 a tout de même laissé des traces, et pour les agriculteurs, le traumatisme peut durer plusieurs années."

Tendances du marché en termes d’importation

"Le fournisseur majeur d’urée pour le continent européen est l’Egypte. Le canal d’achat des importations n’est autre que les traders classiques, puis un circuit assez classique : Soit des centrales d’achat qui regroupent plusieurs partenaires, coopératives… qui ont le poids suffisant pour utiliser et consommer un bateau complet.

Notons par ailleurs, que les Etats-Unis investissement massivement dans les usines de production de solution azotée. Ainsi, dans quelques années on peut imaginer un flux d’importation de plus en plus important depuis cette origine."

Quel impact de ces importations sur les prix, et les productions des industries françaises ?

"L’industrie française subit l’effet mondialisation, sans aucun doute. Le marché français est en grande partie un marché d’importation, nous sommes très dépendants des prix mondiaux, et de l’offre et la demande mondiale.

Si on prend comme exemple le plus gros marché en termes d’azote, l’urée, dans le cas d’une friction sur l’urée mondiale en Chine ou en Egypte, automatiquement, cela se répercute en France."

Quelles sont les périodes d’achat des distributeurs et des agriculteurs ? Quelles analyses des achats des agriculteurs ?

"De plus en plus d’agriculteurs adoptent un comportement de « lissage » des achats. Les engrais au même titre que les grains sont sujets à une fluctuation des prix. C’est la raison pour laquelle nous conseillons aux agriculteurs de morceler leurs achats. Si par exemple un agriculteur achète la totalité de ses besoins en fertilisants à un instant t, cela peut être compromettant si quelques semaines ou quelques mois après le prix a été divisé par deux. 

Je modère mes propos, ce morcellement est possible dans certains cas, si l’agriculteur n’a besoin que de deux camions d’azote c’est plus compliqué de morceler les achats, mais pour celui qui nécessite 4/5 camions, on peut conseiller de faire des achats par tranches de 20%.

Les distributeurs fonctionnent plus ou moins avec la même logique de fonctionnement, ils se doivent aussi de lisser leurs périodes d’achat pour rentrer dans une logique de gestion du risque de prix. La différence avec les achats des agriculteurs est que le distributeur doit être capable de fournir à chaque instant son bassin, surtout si la concurrence est elle en mesure de le fournir. Il doit donc connaitre le comportement d’achat des agriculteurs présents dans son bassin de production pour répondre à une demande qui peut parfois être plus importante dans les derniers moments d’une campagne."

Quel enjeu de la parité €/$ et prix du gaz naturel/prix des engrais? Quelle corrélation entre le cours des céréales/prix des engrais ? 

Enjeu de la parité €/$ : "l’enjeu de cette parité est majeur pour le marché des engrais en France. En effet, comme la France est majoritairement un marché d’importation, la fluctuation de l’euro vis-à-vis du dollar va grandement impacter les prix. Dans le cadre actuel, la parité euro/dollar est faible, désavantageant grandement les importateurs et soutenant donc les prix pratiqués dans l’Hexagone. Dans ce cadre l’élection présidentielle française sera un élément important dans l’évolution future de l’euro face au dollar et par conséquent pour les prix des engrais en France."

Prix du gaz naturel/Prix des engrais : "C’est également un des facteurs à prendre en compte lorsqu’on essaye d’appréhender les perspectives du marché des engrais azotés. C’est notamment vrai pour les producteurs Egyptiens qui sont les fournisseurs majeurs de l’Europe, et produisent leurs engrais essentiellement à partir de gaz naturel. Donc logiquement, toute hausse du prix de cette énergie entraine automatiquement une hausse du coût de production des engrais azotés. Ensuite, il est possible d’avoir deux cas de figure :

  • Les fournisseurs gardent des prix inchangés, et acceptent de rogner dans leurs marges. Ce cas de figure arrive lorsque les engrais provenant de Chine (avec une production au charbon) sont plus compétitifs.
  • Les fournisseurs n’ont pas la capacité de réduire leurs marges et se voient donc obligés de répercuter cette hausse dans le prix de vente final des engrais. Cette alternative est d’autant plus vraie en ce moment dans la mesure où les producteurs chinois ont eux aussi dû faire face à une hausse des prix du charbon."

Prix des céréales/prix des engrais : "A l’inverse des deux autres facteurs, cette corrélation est trop faible, non significative d’un point de vue purement statistique. Il faut lutter contre ces idées reçues.

Cela peut cependant être vrai lorsque le prix des céréales a un impact sur le comportement d’achat des agriculteurs : une hausse du prix des céréales peut amener à une hausse du prix des engrais, simplement parce qu’il y a plus de demande, plus de trésorerie qui rentre, donc une plus grande appétence à l’achat. A l’inverse, il ne faut pas penser que lorsque le prix des céréales a tendance à baisser, ce facteur va conduire les prix des engrais à baisser.

Il s’est déjà vu par le passé d’avoir un prix haut des engrais, et un prix bas des céréales, c’est le fameux « effet ciseaux »."

Enjeu de l’offre et de la demande mondiale VS les besoins en France

"Encore une fois, la France a un poids minime sur le marché mondial. Ce n’est pas parce que nos agriculteurs vont réduire leurs achats de tel ou tel produit que cela va avoir une influence au niveau mondial. Parmi les grands acteurs, il y a l’Inde, le Brésil ou la Chine du côté de la demande, ou la Chine du côté de l’offre, et s’il y a vraiment un impact sur le marché mondial, cela viendra de ces bassins.

Pour aller un peu plus loin, aujourd’hui l’offre mondiale suffit amplement à couvrir la demande, et même si les besoins français venaient à exploser, ce qui reste peu probable, l’offre mondiale sera largement capable d’amortir cette demande."

Que signifie la cotation Euronext de la solution azotée pour les agriculteurs ?

"Pour rappel, la cotation Euronext a été lancée en fin d’année 2016 et porte sur un contrat de 30 tonnes de solution azotée 30%. Ce contrat répond donc aux besoins de couverture de nombreux acteurs de la filière face à des prix toujours plus volatils. La petite taille du contrat, 30 tonnes répond en outre aux besoins des agriculteurs. Un tel contrat permettra également de fixer un prix tout au long de l’année, au moment voulu et ainsi se prémunir contre des variations futures, grâce aux mécanismes de couverture permis par les marchés à terme.

Aujourd’hui le contrat solution azotée Euronext peine à trouver de la liquidité. En effet, peu voire pas de volumes sont échangés chaque jour ce qui rend la cotation Euronext peu significative, faute d’échange. La position ouverte sur le contrat solution azotée est de 41 lots toutes échéances confondues contre plus de 300 000 sur le marché du blé.

Néanmoins, c’est un contrat à surveiller de près quand on sait que le contrat blé d’Euronext a mis plusieurs années à afficher la liquidité qui est la sienne aujourd’hui. Pour que ce contrat trouve l’intérêt qu’il mérite, il faudra avant tout que la filière soit formée à l’utilisation de ce genre d’outil, qui permet, je le rappelle, de lutter contre la volatilité des prix des engrais azotés, source de risque pour bon nombre d’acteurs..."


Merci à Alban Fontaine, consultant chez Agritel, d'avoir répondu à nos questions.